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Montmartre, 75018 Paris
« À la bonne franquette » signifie sans cérémonie, sans façon, en toute simplicité. Dérivée de « franc », l’expression à la franquette signifiait d’abord « franchement », « sincèrement ». À la bonne franquette — ou flanquette ! — apparaît au milieu du XVIIIe siècle. Pour Claude Duneton, cette expression a pu apparaître par contraste avec « à la française », qui voulait dire « avec beaucoup d’obligeance et d’arrangement », « luxueusement ».
L’édifice qui abrite aujourd’hui La Bonne Franquette date de la fin du XVIème siècle, comme la plupart des bâtisses de Montmartre qui ont été reconstruites après l’incendie de 1559 qui ravagea le village de Montmartre. A l’époque, des moulins déployaient leurs ailes, la plaine possédait de grands champs de blé et les pentes de la Butte étaient plantées de vignes. La rue où est érigé l’édifice était à l’origine un sentier datant probablement du XIème siècle servant de limite entre les seigneuries de Saint-Denis et de Montmartre.
C’est en 1867 que cette rue fut nommée rue Saint Rustique, d’après le compagnon de Saint Denis, premier évêque de Paris, décapité en l’an 250 près de l’actuelle place des Abbesses avec Saint Rustique et Saint Eleuthère. C’est d’ailleurs à ces trois suppliciés que la Butte, qui s’appelait alors « Mons Mercurii », car un temple de Mars était érigé sur l’actuel emplacement de l’église Saint Pierre, fut renommé vers 630 par le bon roi Dagobert Ier « Mons Martyrum ». Déformé au cours des siècles, ce nom deviendra successivement Momartre, Motmartre, Mont Marthe, Mont-martre et enfin Montmartre.
Au XIXème siècle, de très nombreux artistes, chassés de la rive gauche par les travaux haussmanniens, se sont installés à Montmartre, attirés par l’atmosphère bohême et les ateliers aux loyers très modérés. Fréquentant les auberges et cafés les plus accueillants pour eux, ils échangeaient une toile, un dessin, une gravure, sculpture ou poème contre le boire et le manger. C’est ainsi que viennent se rafraîchir sous les tonnelles ombragées du restaurant dénommé à l’époque les Billards en Bois les peintres Pissarro, Degas, Sisley, Cézanne, Renoir, Gauguin, Van Gogh, puis Toulouse-Lautrec, Suzanne Valadon et son fils Utrillo et enfin Poulbot, ainsi que des écrivains et poètes. Causant de leurs projets, ils jouaient au billard dans le jardin. C’est ainsi que Renoir peignit en 1876 sur ce lieu même sa célèbre toile « Le Bal du Moulin de la Galette ».
A l’automne 1886, Van Gogh, qui habitait avec son frère Théo au 54 rue Lepic, découvre les Billards en Bois et son jardin où son jeune ami Toulouse-Lautrec l’invite à boire l’absinthe. Vincent, pendant ces deux ans passés à Montmartre, réalisa plus de 200 œuvres, toiles et dessins aux sujets variés : paysages, natures-mortes, portraits et autoportraits. Dans le jardin du restaurant devenu La Bonne Franquette, il peignit sa célèbre toile aux dimensions modestes, La Guinguette, aujourd’hui exposée au Musée d’Orsay.
Au début du XXème siècle, Francisque Poulbot qui fréquentait l’endroit, y fonda l’Association fraternelle des joueurs de billard en bois avec ses amis Henri-Paul Gassier, dessinateur, caricaturiste et cofondateur du Canard Enchaîné et Pierre Dumarchey, futur Mac Orlan. Ils s’affrontaient autour de ce billard de 5 mètres de long installé sous les tonnelles, dont la boule blanche était un bouchon de champagne : le vainqueur payait la tournée générale… L’appellation « Aux Billards en Bois » a ainsi fait au début du XXème siècle la réputation du restaurant dans les annales, films et revues.
C’est en 1925 que le lieu devient La Bonne Franquette, d’après ce que l’on dit sur une idée de Francisque Poulbot. Cette enseigne a été conservée jusqu’à nos jours.
On affiche alors – déjà ! « L’Auberge de la Bonne Franquette est l’établissement le plus confortable, le plus gai dont la cuisine est la plus soignée et aux prix les plus modérés – Déjeuners-Diners-Soupers ».
À cette époque, une décoration en faux colombages marque le goût du moment pour la tradition campagnarde. De 1932 à 1938, Édith Piaf, qui a passé son enfance dans les quartiers populaires de Belleville et de Ménilmontant, habite à Montmartre. Elle se produit dans différents cabarets dont Le Lapin Agile, comme Rina Ketty. En 1941, elle revient sur la Butte pour tourner le film Montmartre-sur-Seine de Georges Lacombe avec Jean-Louis Barrault, Roger Duchesne et le jeune Paul Meurisse : cette romance met en scène les principaux sites de la Butte, dont La Bonne Franquette.
En 1946, Piaf remarquera Charles Aznavour, qui débutait dans les cabarets de Montmartre et de Pigalle et qui, au milieu des années 50, habitera dans l’immeuble de La Bonne Franquette. Il vivra là quelques années avec sa seconde épouse Èvelyne Plessis, qui y restera après leur séparation.
Jusqu’au milieu des années 50, La Bonne Franquette, qui disposait alors de chambres à l’étage, est tenue avec beaucoup de dynamisme par la truculente Adrienne, figure de la Butte de l’entre-deux-guerres, amie des aviateurs et d’hommes politiques connus.
Adrienne organisait chaque année Le Pot-au-feu des Vieux, sorte de repas des Restos du Cœur avant l’heure, et mobilisait les membres de la Commune Libre de Montmartre afin de collecter des vêtements chauds à l’entrée de l’hiver. Adrienne y eut l’honneur d’accueillir le Président Édouard Herriot au déjeuner annuel de 1950, événement dont la presse relata le cadeau fait au Président par la doyenne des montmartrois Louisette Ferrère : une pipe et 6 paquets de gris.
La même année, après la récolte de la vigne voisine, la fête des vendanges se poursuivit à La Bonne Franquette où on apporta la récolte. On dépose les grappes sur un tapis, et deux belles et jeunes montmartroises remontant leurs frous-frous, pieds nus, se mettent à fouler le raisin à un rythme endiablé ! La Bonne Franquette crée pour cette occasion une cuvée spéciale : le vin est versé dans deux bouteilles dont l’étiquette représente, en pleine guerre froide, les portraits des présidents Truman et Staline trinquant au succès du vin de Montmartre et à la paix entre les deux grands blocs politiques et militaires !
En 1955, Adrienne vend son affaire à Maurice His qui veut en faire un haut lieu montmartrois en lui apportant éclat et renommée. L’inauguration en septembre 1956 est relatée par la presse parisienne : journaux et magazines évoquent les menus composés de pâtés du chef, tripes, homard à l’armoricaine, coq au Chambertin, truites…arrosés de bons crus. Des artistes comme Bernard Dimey, Jacques Brel et François Deguelt, artiste fidèle au cabaret Chez ma Cousine, viennent parfois y chanter.
Une nouvelle clientèle américaine du milieu du cinéma découvre La Bonne Franquette : Métro Goldwyn Mayer établit ses bureaux rue d’Orchamps, dans une maison qui deviendra celle de Dalida. Des artistes venus en tournage à Paris comme Paul Newman, Faye Dunaway, Yul Brunner… découvrent le charme de Montmartre et animent des fêtes nocturnes recherchées à La Bonne Franquette.
Le succès se confirmant, Maurice His agrandit le restaurant le long de la rue des Saules sur le jardin qui descend jusqu’à la rue Cortot, créant ainsi une sorte de guinguette. Truculent et charismatique, Maurice His devient le 7ème Président de la République de Montmartre de 1973 à sa mort en 1993. Son fils Jean- Pierre His en sera le 9ème Président de 2002 à 2006.
En 1959, Maurice His auditionne une jeune chanteuse pour son cabaret, Natacha, qui interprète les grands auteurs-compositeurs français de l’époque : Aznavour, Béart, Bécaud, Gainsbourg et le montmartrois Bernard Dimey. Elle devient son épouse, et ainsi, propriétaire de l’établissement… qu’elle fréquente toujours aujourd’hui et anime encore parfois avec sa voix toujours aussi fraîche et entraînante ! Aujourd’hui, son légendaire « Syracuse » continue de nous ravir !
Après plusieurs changements de main, la famille Fracheboud, originaire de Samoëns en Haute-Savoie, prend la direction du restaurant dans les années 70 et s’efforce de rester fidèle à son enseigne « La Bonne Franquette » : lieu festif et chaleureux, accueillant tant pour les habitués Montmartrois, les parisiens, les artistes, artisans et vignerons, que pour les touristes, étrangers comme provinciaux…
Ainsi tour à tour à l’enseigne Aux Billards en Bois, Le Franc Buveur, L’Ange, Le Ranch … et depuis 1925, La Bonne Franquette, ce lieu, à la fois auberge, restaurant, bistrot, bar à vins, cabaret, est une institution montmartroise historique.
Sa devise “Aimer, manger, boire et chanter” reproduite sur la façade et dans les salles, reflète l’esprit de ce lieu au riche patrimoine que fut celui du Montmartre de la grande époque des artistes.
Reproduit et adapté avec l’autorisation de Françoise Bensignor, Jacques Bachellerie et Marie-France Coquart
La Gazette de La Bonne Franquette par Bernard Salmon, Poète des Mers,
4ème Maire et attaché culturel de la Commune Libre du Vieux Montmartre, mort en 1979
Dictionnaire des lieux à Montmartre
Les Montmartrois - Éditions André Roussard
Archives de la Société d’histoire et d’archéologie du Vieux Montmartre
Documents et archives de La Bonne Franquette
Documents de l’Association des amis de Francisque Poulbot - merci à Jean-Claude Gouvernon et Jean-Pierre Doche.
Souvenirs de Madame His